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Réfutation de l’objection défendant la permission de travailler dans une banque usurière sous prétexte que le système financier contemporain fait qu’on ne peut pas ne pas traiter avec les usuriers

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Date de publication : 19-09-2017

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Question

Cette question est venue d’un frère qui veut une plus grande clarification au sujet de l’usure.
Je lui ai dit qu’il n’est pas permis de travailler dans les banques classiques car elles mènent des transactions usurières. Or, il n’est pas permis de s’entraider dans l’illicite.
Il a rétorqué qu’il est impossible d’éviter l’usure dans le système financier en vigueur. Ensuite, il a poursuit :
1. Supposons que vous employiez un ordinateur de marque Lenovo. Cette société emprunte de l’argent aux banques pour consolider ses finances. Puis elle utilise les prêts pour construire des usines, payer les salaires des fonctionnaires et couvrir ses autres dépenses. Les prêts assortis d’un taux d’intérêt constituent une assistance directe à la société.
2. Vous achetez un véhicule de marque Porsch. La compagnie emprunte de l’argent aux banques pour consolider ses assises financières. L’argent que vous payez est utilisé pour rembourser les intérêts des prêts. Vous apportez ainsi à Porsch une aide directe dans le paiement de ses prêts. Dès lors, s’il n’était pas permis de travailler dans les banques, il devrait être interdit d’acheter les marchandises ci-dessus citées.
Comment réfuter cet argument ?

Texte de la réponse

Louange à Allah.

Louanges à Allah

Premièrement, la production de l’usure relève des péchés majeurs. Elle est l’objet de graves menaces qui ne sont pas proférées à propos d’autres péchés. Allah a même menacé de faire la guerre à son producteur. Son Prophète (Bénédiction et salut soient sur lui) a prédit que la malédiction frapperait le producteur de l’usure et son consommateur. Ce qui est une terrible mise en garde contre la commission de cette pratique honnie.

Allah Très-haut dit : Ô vous qui croyez ! Craignez votre Seigneur et renoncez à tout reliquat d’intérêt usuraire, si vous êtes des croyants sincères ! Et si vous ne le faites pas, attendez-vous à une guerre de la part d’Allah et de Son Prophète. Mais si vous vous repentez, vos capitaux vous resteront acquis. Ainsi, vous ne léserez personne et vous ne serez point lésés. (Coran, 2 :278-279). Mouslim (1598) a rapporté que Djaber (P.A.a) a dit : Le Messager (Bénédiction et salut soient sur lui) a maudit le producteur de l’usure, son consommateur, celui qui enregistre et ceux qui en témoignent en disant qu’ils sont tous pareils. 

La souscription d’un prêt assorti d’un taux d’intérêt est interdite de l’avis de tous les ulémas. Al-Qourtoubi (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) dit dans son Tafsir (3/241) :Les musulmans sont unanimes à avoir rapporté de leur Prophète (Bénédiction et salut soient sur lui) que formuler la condition de recevoir un surplus lors de l’octroi d’un prêt relève de l’usure, même si le surplus n’était qu’une poignée de fourrage, selon les termes d’Ibn Massoud, voire une seule graine. 

Il est interdit de travailler dans les banques usurières car l’agent ne pourrait échapper à l’enregistrement des opérations usurières, à leur attestation ou à la contribution, d’une manière ou d’une autre, à leur déroulement.

Deuxièmement, il est permis de faire des achats auprès d’une société qui mène des transactions usurières de la même manière qu’il est permis de traiter avec un privé qui se livre à de telles opérations, à condition toutefois de la licéité de la transaction concernée. Le fait que la société ou l’Etat s’implique dans des activités usurières ne nuit pas aux fonctionnaires. Il en suffit pour preuve que le Prophète (Bénédiction et salut soient sur lui) et ses compagnons traitaient avec les Juifs connus pour leur fréquent recours à la pratique de l’usure dans leurs prêts et emprunts. Ils sont de grands usuriers d’après ce que le Très-haut dit d’eux : C’est en raison de leur iniquité et du grand nombre de gens qu’ils ont détournés de la Voie d’Allah que Nous avons interdit aux juifs l’usage d’excellentes nourritures autrefois autorisées. C’est aussi à cause de la pratique de l’usure, bien qu’elle leur ait été interdite, et de leur habitude de s’accaparer injustement des biens d’autrui, que Nous avons préparé pour ceux d’entre eux qui sont infidèles de terribles tourments.  (Coran, 4 :160-161).

At-Tabarani a rapporté que Kaab ibn Oudjara (P.A.a) a dit : «Je me suis rendu auprès du Prophète (Bénédiction et salut soient sur lui) Le voyant éprouvé, je lui ai dit :

-Puisse mon père être sacrifié pour te sauver, pourquoi tu parais si éprouvé ? 

-Je n’ai rien avalé depuis trois jours. 

Repartis, j’ai eu la surprise de tomber sur un juif qui abreuvait ses chameaux. Je lui ai proposé de l’aider à condition de me donner une datte pour chaque sceau d’eau tiré du puits. J’ai pu ainsi gagner quelques dattes que je suis allé offrir au Prophète (Bénédiction et salut soient sur lui)

-Où es-tu allé les trouver ? 

Quand je lui ai dit, il a repris :

- Est-ce que tu m’aimes, ô Kaab ? 

-Oui, puisse mon père soit sacrifié pour te sauver ! 

-La pauvreté gagnera ceux qui m’aiment à une vitesse supérieure à celle des inondations convergent vers leur point de rassemblement. Tu en seras éprouvé. Prépare-toi de quoi y faire face. Ce hadith est jugé bon par al-Albani dans Sahih at-targhib wa at-tarhib n° 3271.

Le terme tidjfaaf (traduit par de quoi y faire face) signifie linguistiquement le dispositif placé sur le dos d’un cheval qui peut comprendre une arme et un équipement destiné à protéger l’animal contre les blessures. Il renvoie ici à la résistance par rapport aux tentations mondaines, à s’en détourner et à endurer la pauvreté. L’usage du terme est une allusion à la patience qui dissimule la pauvreté de la même manière que le tidjfaaf couvre le dos du cheval. » Extrait d’an-Nihayah fii gharib al-hadith par Ibn Athir (1/475) et Gharib al-hadith d’Ibn al-Djawzi (1/163).

Le Prophète (Bénédiction et salut soient sur lui) mourut à un moment où son bouclier était mis en gage auprès d’un juif contre quelques mesures de blé.

Al-Bokhari (2916) a rapporté qu’Aicha (P.A.a) a dit : A son décès, le Messager d’Allah (Bénédiction et salut soient sur lui) avait mis son bouclier en gage auprès d’un juif contre 30 saa de blé (près de 70 kg.  Ce qui prouve qu’il est permis de faire des achats auprès des juifs, bien qu’ils pratiquent l’usure.

Cheikh ibn Outhaymine (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : «Il est permis de faire des affaires avec un partenaire impliqué dans l’usure à condition de s’y engager de manière saine. On peut, par exemple, sans aucun inconvénient, lui acheter (des marchandises) et lui emprunter de l’argent car le prophète (Bénédiction et salut soient sur lui) engageait des transactions avec les Juifs, bien qu’avides consommateurs des produits de l’usure. Il a reçu leurs cadeaux, répondu à leur invitation et opéré achats et ventes avec eux. La réception de leurs cadeaux s’illustra dans l’histoire de la femme juive qui lui avait offert un mouton lors de la conquête de Khaybar. La réponse à leur invitation a eu lieu suite à l’initiative d’un garçon juif de Médine. Il a acheté de la nourriture pour sa famille auprès d’un juif et lui a remis son bouclier en gage. A sa mort, le bouclier était encore entre les mains du juif.

En somme, il n’y a aucun inconvénient à traiter sainement avec quelqu’un qui réalise des gains illicite. » Extrait de fatwa nouroune ala ad-darb.

Il est erroné de dire que travailler pour des juifs ou faire des achats auprès d’eux revient à les aider à mener leurs acticités usurières. En vérité, il ne s’agit que de traiter avec eux dans le cadre du licite. Coopérer avec eux dans ce cadre ne pose aucun problème. Ce qui reste interdit est l’étroite coopération dans les opérations illicites. L’assistance indirecte n’en fait pas partie. On pourrait dire, par exemple, que vendre de la nourriture à un mécréant revient à l’approvisionner donc à assurer sa survie et qu’en continuant à vivre il va perpétuer le culte des idoles. Par conséquent son approvisionnement en nourritures revient à l’aider à perpétuer le chirk ! Cette approche n’est pas retenue par la Charia. C’est pourquoi les musulmans ont toujours opéré des achats, ventes et autres avec les polythéistes sans se soucier de cette objection.

Il est surtout interdit de vendre à un désobéissant ce qui l’aide à persévérer dans la désobéissance. C’est le cas de la vente du raisin à celui qui va le transformer en vin ou la vente d’une arme tout en sachant ou en croyant fortement qu’elle va être utilisée pour tuer un innocent.

Ibn Qudama (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit :Pour tout dire,la vente du jus de raison à quelqu’un qui va le transformer en vin est interdit. Plus loin, il écrit : «Il en est ainsi de tout ce qui va faire l’objet d’un usage illicite comme la vente d’armes à des gens qui nous font la guerre ou à des coupeurs de route ou des gens impliqués dans un conflit ou la vente ou la location d’une esclave pour servir de chanteuse ou la mise en location d’une maison pour servir de débit de boisson ou être utilisée comme une église ou une maison du feu (lieu de culte mage) ou consort. Tout cela est interdit et le contrat qui le sanctionne est caduc, comme nous l’avons déjà dit.

Selon Ibn Aquil, l’imam Ahmad (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a précisé des questions et les a mises en relief. Il a dit à propos du boucher et du boulanger que si leur client sait qu’ils boivent du vin, il ne doit rien leur acheter. Le fabriquant de coupes ne doit pas les vendre à celui qui va les utiliser pour boire du vin. Il a interdit encore la vente de soie aux hommes mais il ne trouve aucun inconvénient à la vendre aux femmes. » Extrait d’al-Moughni (4/254).

Cheikh al-islam Ibn Taymiyah (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) dit : Il n’est pas juste de vendre un objet à quelqu’un qui va en faire un usage illicite. C’est le cas de la vente du jus de raisin à quelqu’un qui va le transformer en vin, selon la doctrine d’Ahmad et d’autres, si on sait ou croit fortement qu’il va en faire un tel usage. C’est un des deux avis émis dans l’école d’Ahmad. Cet avis est corroboré par les propos des condisciples qui disent : si le bailleur croyait que le locataire louait la maison pour y commettre des actes de désobéissance comme la vente du vin et consort, il ne lui serait pas permis de lui louer la maison. La mise en location ne serait pas valide. A cet égard, la vente et la location sont pareilles.  Extrait d’al-Fatwa al-koubra (5/388).

On lit dans l’encyclopédie juridique :La majorité des jurisconsultes soutiennent que tout ce qui est destiné à un usage interdit et toute manipulation qui aboutit à un tel usage sont interdits. Il faut s’abstenir de vendre un objet quand on sait que l’acheteur est animé d’un dessin non permis.  Extrait d’al-Mawsoua al-kowaytiyya (9/213). La location est comme la vente.

En somme, l’objection en question est faible. Elle vise à autoriser les transactions usurières sous prétexte qu’on ne peut pas les contourner. C’est un embellissement et une brouille satanique. A supposer que quelqu’un ait du mal à éviter certaines formes d’usure, qu’est ce qui l’autorise à en pratiquer d’autres volontairement ? Que faire de la parole d’Allah : Craignez Allah dans la mesure du possible.  (Coran, 64:16).

C’est comme le cas de celui qui dirait : étant donné qu’acheter auprès d’un juif va lui permettre de bénéficier du prix et de l’utiliser dans sa pratique de l’usure, cela revient à l’y aider. Si c’est permis, pourquoi pas se livrer directement en coopération avec lui à des activités usurières ?!

Aussi devient il clair qu’il n’y a aucun inconvénient à mener des transactions licites en matière d’achat et de vente avec un usurier. Allah soit loué. Voir pour davantage d’informations au sujet de l’exercice d’un emploi au sein des banques usurières la réponse donnée à la question n°26771.

Allah le sait mieux.

Source: cheikh Muhammad ibn Outhaymine (Rencontre mensuelle 17)