Louange à Allah.
Dans toutes les législations, les religions et les idéologies intellectuelles et philosophiques, il existe deux grands groupes de choix intellectuels, dogmatiques et législatifs qui sont évidents aux critiques et aux chercheurs.
Le premier groupe : comporte les constantes, les piliers et les principes, en d’autres termes la philosophie générale et les grandes lignes qui tracent les contours de la législation et la distinguent des autres. Cette partie-là est immuable et statique.
Le deuxième groupe : comporte les explications détaillées qui découlent des principes généraux, et se rapportent aux événements partiels et aux procédures qui accompagnent et concrétisent les principes généraux.
La propriété individuelle dans le système capitaliste, par exemple, est un fondement immuable et un pilier majeur dans ce système économique et philosophique. Si on le change, on ne parle plus de capitalisme mais plutôt d’un autre système tout à fait différent. Celui qui demande à ce système d’abolir ou d’affaiblir la propriété individuelle lui demande de se transformer en un autre système comme le socialisme par exemple ou les systèmes mixtes. Cependant, si ce système procède à la mise en place de certaines lois visant à atténuer les effets négatifs de certaines formes d’excès de propriété individuelle, on ne peut pas l’accuser d’un changement radical. Toutefois, un désaccord peut surgir quant à l’interprétation de ce comportement et à l’évaluation de sa cohérence avec le principe général, ou de son atteinte à celui-ci. Il y a là une différence entre les deux types de changement.
La loi islamique n’échappe pas à cette règle. C’est pourquoi aucun penseur raisonnable, musulman ou non, ne s’attend à ce que la Charia abandonne ses caractéristiques qui l’ont distinguée des autres législations profanes, sous prétexte de l’évolution du temps et des contextes, et sans tenir compte de la différence entre les principes et les variables. Personne ne demande l’abandon total des constantes car à l’origine ils savent que personne n’est en mesure de les modifier ou les changer.
Les constantes portent sur la foi et les affaires liées à la croyance en l’unicité absolue d’Allah, le Très-Haut, les objectifs généraux de la Charia, les règles juridiques générales totalitaires, les valeurs qui sou tendent la législation, les composantes consensuelles admises par l’ensemble de la Oumma à travers les époques, et les questions partielles que la loi a statué (établir le verdict en les rendant obligatoires ou interdites) à cause de leur lien indissoluble avec les intérêts ou les préjudices à tout moment ou en tout lieu.
Prenons l’exemple du port du voile : c’est un verdict obligatoire immuable qui concerne les femmes, qu’il est interdit de changer parce que lié à l’instinct des deux sexes qui s’attirent mutuellement. C’est une réalité connue dans toutes les sociétés humaines. Le non-respect de ce verdict entraîne des dérapages et un désordre moral dont souffrent tous les pays du monde sans exception.
Comment dire, malgré tout, qu’il faut abolir ce verdict, bien que le monde ait constaté les dégâts qui ont résulté de son abandon ? Bien au contraire, cela devrait inciter les musulmans à s’y accrocher davantage convaincus que ce verdict s’appuie sur une sagesse légale de source divine.
Quant aux exemples cités dans votre question, ils ne relèvent pas des constantes qui caractérisent l’Islam. Les prières nocturnes surérogatoires du mois de Ramadan (At-Tarawih) sont, selon leur origine légale, un acte d’adoration dont la Charia laisse une grande latitude quant à sa forme et à sa durée. Le Messager d’Allah (Bénédiction et salut d’Allah soient sur lui) n’en a pas fixé un nombre de Raka’ates à ne pas dépasser.
Le deuxième appel à la prière du vendredi institué par Outhmane (Qu’Allah soit satisfait de lui) est une confirmation du caractère obligatoire du premier appel. Il n’y modifie et n’y change rien. C’est une affirmation par la répétition.
S’agissant de l’innovation des Omeyyades consistant à prononcer le sermon avant la prière de l’Aïd, c’est une innovation rejetée par tous les ulémas issus des ancêtres pieux et de leurs successeurs. Ils l’ont considérée comme une manipulation de la religion et une innovation dans la législation pour des raisons politiques et non pour réaliser un objectif légal. C’est pourquoi la pratique habituelle a été rétabli dans tous les pays, et tout le monde accomplissent la prière de l’Aïd avant d’écouter le sermon.
Concernant l’interdiction du mariage provisoire (Zawadj Al-Mout’a) et de la consommation de la viande d’âne, elles résultent d’une abrogation décidée par le Législateur lui-même, et non pas des humains. Ce n’est pas Ali ibn Abi Taleb (Qu’Allah soit satisfait de lui) qui a aboli le mariage en question mais c’est le Prophète (Bénédiction et salut d’Allah soient sur lui).
Cela dit, les ulémas n’ont pas contesté la possibilité du changement des verdicts compte tenu de cinq considérations citées par Ibn Al-Qayyim (Puisse Allah le Très-Haut lui accorder Sa miséricorde) à savoir : le temps, le lieu, les us et coutumes, les situations et les intentions.
Toutefois, le changement en question ici se limite aux verdicts qui, par leur nature, sont évolutifs et non originellement immuables dans la législation islamique. Ces verdicts sont ceux dont les fondements reposent sur les coutumes ou l’intérêt général, et qui ne sont pas établis sur un principe religieux déterminé. C’est dans ce sens que l’imam Al-Qarafi (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « La règle unanimement admise est que tout verdict fondé sur une coutume, change avec le changement de la coutume. » Voir Al-Fourouq (4/103).
Réfléchissez sur ses propos “fondé sur une coutume” afin de comprendre que le changement se limite aux verdicts fondés sur les coutumes.
Les verdicts fondés sur les objectifs fondamentaux de la Charia, ou sur des principes humains universels et qui ne changent pas au fils des temps, comme l’interdiction de l’usure, par exemple, elles ne peuvent pas changer.
C’est ainsi que la législation islamique se distingue par sa flexibilité grâce à ce type de verdicts, tout en conservant sa fermeté dans ses verdicts constants à travers le temps et l’espace.
Figurent parmi les objectifs fondamentaux de la Charia les plus importants qu’il faut prendre en considération : le fait pour la personne assujettie aux obligations religieuses de se soumettre complètement au Seigneur des mondes et à Sa loi, et de se libérer de sa passion. C’est le cas de beaucoup de verdicts relatifs aux actes purement adoratifs. C’est un chapitre qui n’admet fondamentalement aucune modification, comme le sait toute personne qui possède la moindre connaissance de la Charia, de ses fondements et de sa sagesse.
Cheikh Moustapha Az-Zarqa (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Il est établi dans le droit musulman que les changements des conditions et des circonstances temporelles ont un grand impact sur les verdicts légaux, fruits d’efforts personnels de réflexion. En effet, ces verdicts sont dictés par la loi religieuses dans le but de rendre justice, de préserver les intérêts et de prévenir les dégâts. Ils sont fortement liés aux situations, aux moyens de l’époque et aux valeurs morales de la société. Beaucoup de verdicts qui étaient des résolutions et des remèdes efficaces pour une situation à une époque donnée, sont devenus, au fil des générations, inefficaces, voire contre-productifs, en raison de l’évolution des conditions, des moyens et des mentalités
C’est ce qui a amené des juristes musulmans issus de diverses écoles juridiques dans bien de questions à délivrer des Fatwas contraires à ceux donnés par des imams et Fouqahas prédécesseurs de leurs écoles. Les derniers parmi eux ont bien expliqué que la cause de la différence entre leurs avis et ceux de leurs prédécesseurs réside dans l’évolution des époques et la détérioration des mœurs.
En réalité, ils n’ont pas contredit les prédécesseurs de leurs écoles, car si ceux-ci vivaient dans le même contexte et constataient le changement des temps et des mœurs, ils n’auraient d’autres avis que ceux de leurs successeurs.
Voilà la base sur laquelle s’est établi la règle juridique : ” On ne conteste pas le changement des verdicts qui suit l’évolution du temps.”
Les Fouqahas des écoles juridiques sont tous d’avis que les verdicts qui peuvent changer en fonction de l’évolution du temps et des mœurs sont ceux issus d’un effort personnel de réflexion (Al-Idjtihad) fondé sur le raisonnement par analogie (Al-Qiyas) ou sur la considération de l’intérêt général (Al-Maslaha Al ‘Amma). C’est à ces règles que fait référence la règle générale mentionnée précédemment.
Quant aux verdicts fondamentaux établis et fixés solidement par la Charia dans ses textes de base véhiculant les ordres et les interdits, comme ceux qui expliquent les interdits absolus, la nécessité du consentement dans les contrats, l’engagement à respecter le contrat par le contractuel, la garantie du préjudice causé à autrui, l’applicabilité de l’aveu à son auteur et non à autrui, la nécessité de prévenir les dégâts et de réprimer les crimes, la prévention des prétextes du mal, la protection de droits acquis, la responsabilité de tout individu assujetti à la loi religieuse par rapport à son travail et à ses manquements et la non imputation à un innocent de la faute commise par un autre, entre autres verdicts et principes légaux immuables apportés par la Charia pour les opposer à toute contradiction. Ces verdicts là demeurent immuables au fils des générations, car ce sont les fondements que la loi divine a adopté pour réformer les époques et les générations. Cependant, les moyens de les mettre en œuvre et les modalités d’application peuvent varier en fonction des circonstances variables des différentes époques.
La magistrature était par exemple le moyen de protéger les droits. Les tribunaux dépendaient d’un seul individu servant de juge. Sa sentence tranchait. Cette situation a connu une mutation qui a donné lieu à un tribunal collégial et à des instances de jugement pour tenir compte des intérêts du moment qui nécessitent davantage de précautions dues à la vulnérabilité des consciences.
Aussi demeure-t-il vrai que des verdicts légaux peuvent changer en fonction de l’évolution du temps, mais quel que soit le degré de changement le principe légal reste le même, à savoir établir la vérité, réaliser les intérêts et prévenir les dégâts.
Le changement des verdicts n’est rien d’autre que le changement des moyens et des méthodes qui permettent d’atteindre la finalité de la législation. En effet, ces moyens et ces méthodes ne sont souvent pas spécifiées par la loi islamique mais sont laissés à la libre appréciation des individus pour qu’ils choisissent, à chaque époque, ce qui est le plus adapté en terme d’organisation et le plus efficace en matière de réforme.» Extrait de Al-Madkhal Al-Fiqhi Al-’Aamm (940-942).
Docteur Abid As-Soufiani a dit : « L’évolution des temps et des conditions de vie n’a jamais été négligée par la Charia. Mieux, elle en a tenu compte dans ses verdicts. Il y a une différence entre les époques de force et les époques de faiblesse des musulmans. Allah, le Très-Haut, a établi des verdicts pour les situations de force et de suffisance, et d’autres pour les moments de famine et de besoin.
Le fait pour la Charia de tenir compte des époques, des circonstances et des capacités ne signifie pas qu’elle s’en remet à la raison humaine pour la détermination de la législation et la définition des intérêts. Pas du tout. Au contraire, elle ne lui a laissé aucune latitude, ni dans le domaine du culte, ni dans celui des transactions.
Le changement de l’avis juridique suivant le changement de l’application d’une règle juridique générale à des cas particuliers afin que chaque situation soit soumise à son statut légal, cela n’a rien à voir avec un changement des verdicts de la Charia sous prétexte d’une évolution des intérêts au fil du temps.
De ce fait, le droit musulman n’est pas immuable puisqu’il se renouvelle dans la mesure où chaque événement est adapté à son statut légal approprié. S’il arrive un temps où le même événement se reproduit sous une autre forme avec un changement de sa réalité juridique, on l’adapte au verdict approprié, et ainsi de suite…
Ainsi, chaque situation, en fonction de sa réalité juridique spécifique, est soumise à une règle fixe qui garantit l’intérêt général en toutes circonstances. » Extrait de Ath-Thabat wa Ach-Choumoul : p.540.
Pour plus de détails, voir l’étude intitulée : Mouhawalat At-Tajdid fi Oussoul Al-Fiqh par Hazza’ Al-Ghamdi : p.823-828) On y a discuté le présent sujet très amplement.
Il est important ici de rappeler au chercheur, auteur de la présente question, que le succès temporaire réalisé par la civilisation occidentale n’est pas dû au système capitaliste usurier. Le socialisme a réalisé durant l’époque soviétique un grand succès qui s’est manifesté à travers la construction d’un État fort et une économie solide. Cependant, les systèmes positifs que voilà ont échoué au fils du temps. Il s’est avéré que ces succès étaient éphémères et que la réalité amère a tout de suite refait surface.
Aujourd’hui, beaucoup d’analystes et penseurs économistes prévoient la chute du système financier (capitaliste) mondial suite à la dernière crise financière qui a vu s’effondrer successivement des états qui sont devenus incapables de réaliser des taux de croissance.
Le citoyen européen en est arrivé à envisager d’émigrer pour trouver un emploi lui assurant une subsistance convenable, comme l’ont montré de nombreuses études et documentaires en ligne.
Nous rappelons à notre chercheur que le système financier capitaliste n’a pas plus d’un siècle d’existence, afin qu’il comprenne qu’il est trop tôt pour conclure que l’usure a réussi à atteindre le développement souhaité. Même en admettant cela, nous ne pouvons pas affirmer qu’un système exempt d’usure ne pourrait pas atteindre un plus grand bien-être et un développement plus important. Celui qui le conteste se livre à une aventure sans rapport avec la science et les preuves irréfutables.
En effet, le califat islamique ottoman a réalisé, à travers son histoire, un succès sans égal dans les domaines profane et religieux, tout en adoptant des systèmes économiques complètement débarrassés de l’usure.
Bien plus, rien ne prouve que l’usure est le facteur positif de l’économie financière qui explique sa croissance dans l’ensemble. Celui qui examine les réalités des sociétés capitalistes et les effets catastrophiques de l’usure, le sait très bien.
Sinon, quel intérêt y a-t-il pour l’humanité à ce qu’un cumul de fortunes soit détenu par une poignée d’usuriers et de capitalistes qui se mettent à piller les biens des pays et d’épuiser les capacités humaines, dans le but d’accumuler les fortunes entre les mains d’une infime partie de la population (entre 0,5% et 5%), privant ainsi la grande majorité des opportunités de prospérité et d’une vie décente ?
Et Allah le Très-Haut, sait mieux.