Lundi 22 Djoumada 2 1446 - 23 décembre 2024
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Manger à satiété et gaspillage

Question

On lit dans le Coran la parole du Très-haut : « mangez et buvez et ne gaspillez pas » (Coran,17 :31  ) Ahmad rapporte un hadith reçu d’al-Miqdam ibn Madiyakrib al-Kindi qui a déclaré avoir entendu le Prophète (bénédiction et salut soient sur lui) dire : « l’humain ne remplit pas un récipient pire que son ventre. Il lui suffit de manger quelques petites bouchées qui lui permettent de tenir. S’il tient à aller au-delà, qu’il réserve un tiers de son ventre au manger , un tiers au boire et un tiers à la respiration. » (rapporté par an-Nassaie et par at-Tirmidhi qui l’a qualifié de bon et exact. Voici ma question :  doit-on en déduire qu’une personne doit se contenter d’un repas par jour et que si on dépasse cela, on exagère et s’expose à la colère divine ? Que faire pendant les jours de jeûne ?Devons-nous nous contenter du repas de l’aube et de trois dattes à prendre lors de la rupture du jeûne ?

En ce qui me concerne personnellement, je me limite à boire du lait mélangé avec du miel pour rompre le jeûne puis à prendre un morceau de viande au déjeuner suivi de quelques fruits avant le sommeil. Y a-t-il là un excès qu’Allah déteste ? J’espère recevoir votre éclairage et vos orientations.

Texte de la réponse

Louange à Allah.

Premièrement, le gaspillage est condamné aussi bien dans le manger qu’ailleurs. Sous ce rapport le Très-haut dit : « Et mangez et buvez; et ne commettez pas d'excès, car Il [Allah] n'aime pas ceux qui commettent des excès. » (Coran,7 :31) et dit : « C'est Lui qui a créé les jardins, treillagés et non treillagés; ainsi que les palmiers et la culture aux récoltes diverses; [de même que] l'olive et la grenade, d'espèces semblables et différentes. Mangez de leurs fruits, quand ils en produisent; et acquittez-en les droits le jour de la récolte. Et ne gaspillez point car Il n'aime pas les gaspilleurs. » (Coran,6 :141) et dit : « Ne porte pas ta main enchaînée à ton cou [par avarice], et ne l'étend pas non plus trop largement, sinon tu te trouveras blâmé et chagriné.» (Coran,17 :29) et : « « Et donne au proche parent ce qui lui est dû ainsi qu'au pauvre et au voyageur (en détresse). Et ne gaspille pas indûment, car les gaspilleurs sont les frères des diables ; et le Diable est très ingrat envers son Seigneur.» (Coran,17 :26-27)

La différence entre le gaspillage et la prodigalité est que le premier consiste à dépenser  plus ce que le nécessaire alors que la seconde renvoie à une dépense superflue d’après al-Manaawi dans Fateh al-Qadiir (1/50)

Deuxièmement, le gaspillage est un dépassement de la limite. Cela peut consister  à manger au-delà de la satiété. Ce qui ne se détermine pas par un repas, deux ou trois. Car on peut prendre un seul repas par jour avec excès comme on peut en prendre trois sans excès. Le hadith de Miqdaad nous exhorte à nous contenter de peu en matière de nourriture, juste ce qu’il faut pour tenir. Il n’évoque pas le nombre de repas. Les trois petites bouchés peuvent être avalées au petit déjeuner , au déjeuner et au diner si on veut rester modéré. Si on veut faire plus, qu’on réserve le tiers de son estomac au manger, un autre tiers au boire et le dernier à la respiration (poche gastrique). Il n’ y a aucun inconvénient à prendre un autre repas comme le font la plupart des gens en tenant compte de ce qui a été dit. Il en serait de même si on avait besoin de quatre repas car le nombre varie en fonction des personnes et de la qualité de la nourriture et du volume d’effort pour sa préparation.

L’essentiel est de protéger son corps contre tout préjudice résultant de la faim ou d’un excès de nourriture. Il importe encore  de se donner la force de mener des actes de piété. Cela s’obtient par la modération dans le manger non d’un excès écrasant ni d’une faim exténuant.

Al-Qourtoubi (puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) dit dans son explication du verset (17 :31) : « la parole du Très-haut : « mangez et buvez mais gaspillez pas.» Pour Ibn Abbas, Allah nous autorise dans ce verset à manger et à boire sans excès ni extravagance. Satisfaire le besoin qui consiste à éliminer la faim et à éteindre la soif est une demande de la raison et de la loi parce qu’il s’agit de préserver la vie et de protéger les sens. C’est pour cette raison que la loi interdit le jeûne continu qui affaiblit le corps , tue l’âme et rend trop faible pour se livrer aux actes cultuels. La loi religieuse s’y oppose et la raison l’exclut. Celui qui se prive du minimum nécessaire ne fait preuve de la moindre piété ou ascèse. Les actes de piété qu’il se rend incapable d’effectuer  génèreraient une récompense bien plus importante.

Une divergence de vues oppose les ulémas à propos de ce qui excède le  strict nécessaire. Certains disent que le dépassement est interdit, et d’autres estiment qu’il est réprouvé. Ibn al-Arabi trouve le dernier avis juste. C’est parce que la satiété est appréciée différemment en fonction du temps , de l’espace, de l’âge et des nourritures.

La sobriété alimentaire possède beaucoup d’avantages dont une meilleure santé physique, une mémoire plus forte, une compréhension plus sure, moins de sommeil et plus de finesse d’esprit.

L’excès de nourriture surcharge l’estomac , provoque la constipation, source de diverses maladies, d’où un besoin de traitement plus fréquent que chez les autres qui mangent peu. Certains sages ont dit que le meilleur médicament c’est la maîtrise de son alimentation. » Extrait du Tafsir d’al-Qourtoubi (17/191)

On lit dans l’encyclopédie juridique (25/332) : « figure parmi les règles à respecter quand on mange : la modération et ne pas se remplir le ventre. Le meilleur moyen d’y parvenir est de diviser son ventre en trois quartiers, un pour le manger, un pour le boire et un pour la respiration. On se conforme ainsi à ce  hadith : « l’humain ne remplit pas un récipient pire que son ventre. Il lui suffit de manger quelques petites bouchées qui lui permettent de tenir. S’il tient à aller au-delà, qu’il réserve un tiers de son ventre au manger , un tiers au boire et un tiers à la respiration. »  C’est plus à même de maintenir l’équilibre du corps et sa légèreté. La satiété fait le contraire et provoque la paresse qui empêche l’accomplissement des actes cultuels et le travail. Pour connaître le tiers en question, il faut retenir le tiers de ce qu’on mange pour arriver à la satiété. Pour d’autres le tiers c’est l’équivalent de la moitié d’un mudd (540 grammes).An-Nafrawi soutient le premier avis en raison de la divergence sur le sujet. Tout ceci s’applique à celui qui ne risque pas de s’affaiblir en évitant de manger à satiété. Autrement, il vaut mieux agir de manière à se donner assez de force pour rester dynamique et garder son équilibre physique.

On lit dans les avis juridiques consultatifs indiens : « le manger se fait selon plusieurs des niveaux : le niveau obligatoire qui correspond à ce qui permet de préserver  sa vie. S’abstenir de manger au point de périr est un acte de désobéissance envers Allah. Un niveau qui génère une récompense. C’est le fait de dépasser le premier et d’aller jusqu’à se donner la force de pouvoir prier debout et d’observer le jeûne aisément. Un niveau licite. C’est ce qui dépasse la satiété et permet de se donner davantage de force. En arriver là ne génère pas de récompense et ne constitue pas un péché. Le concerné subira un léger examen (dans l’au-delà) en fonction de la licéité ou pas de ce qu’il  mangeait Si on mange au-delà de la satiété dans le but d’avoir plus de force pour observer le jeûne du lendemain ou pour accompagner un hôte timide, cela ne représente aucun inconvénient. »

Ibn al-Hadj dit : « le fait de manger comporte plusieurs niveaux : obligatoire, recommandé, permis, réprouvé et interdit. Le premier consiste à se  nourrir pour se donner assez de force pour pouvoir s’acquitter de ses obligations envers son Maître car tout acte qui détermine l’accomplissement d’une obligation est obligatoire. Le deuxième niveau est ce qui aide à accomplir les prières surérogatoires, à s’instruire et à se livrer à d’autres actes de piété. Le troisième niveau c’est la satiété légale. Le quatrième est ce qui dépasse légèrement la satiété sans être nocif. Le cinquième niveau est la voracité préjudiciable au corps.

An-Nawawi dit : « on réprouve de prendre d’une nourriture licite ce qui dépasse la satiété. » Les Hanbalites disent qu’il est permis de bien manger sans porter atteinte à soi-même. On lit dans al-Ghounya : cela est réprouvé si on craint de s’exposer à un excès. Ibn Taymiyya a cité la réprobation du fait de manger excessivement. On a rapporté de lui l’interdiction de ce comportement. »

Troisièmement, il est déjà clair qu’il n’y a aucun inconvénient à prendre plus d’un repas par jour et que cela n’a rien à voir avec le gaspillage puisque celui-ci est de dépasser la satiété , même en ne prenant qu’un seul repas par jour.

Fait partie de ce qui indique qu’il est permis d’atteindre la satiété et que le réprouvé et l’interdit se situent au-delà, ce hadith cité par al-Boukhari (5381) et Mouslim (2040) et rapporté d’après Anas ibn Malick (p.A.a) : «Abou Talha a dit à Oum Salim : j’ai senti une certaine faiblesse  dans la voix du Messager d’Allah. Je crois qu’il a faim. As-tu quelque chose à lui offrir ? On y trouve le récit évoquant l’augmentation d’une nourriture grâce à la prière du Prophète (bénédiction et salut soient sur lui) et ses propos : « fais entrer dix personnes ».On les a invitées et elles ont mangé à satiété puis elles sont reparties. Ensuite, il dit : fais entrer dix personnes. Puis il leur permit de manger à satiété avant de repartir. Puis il dit : fais entrer dix personnes Et il leur permit de manger à satiété. Le groupe comptait un total de 80 hommes. » Al-Boukhari a placé le hadith dans un chapitre intitulé : manger à satiété . Il y cite les propos d’Aicha (p.A.a) : « au décès du Prophète (bénédiction et salut soient sur lui) nous nous nourrissions à satiété des deux denrées noires qui sont la datte et l’eau. »

Al-Hafez Ibn Hadjar (puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Ibn Battal a dit « ces hadiths permettent de manger à satiété. Mais il vaut mieux ne pas le faire.

At-Tabari a dit : « bien que permis, manger à satiété doit s’arrêter à une limite au-delà de laquelle on verse dans le gaspillage. Dans l’absolu, l’expression renvoie à ce qui aide le mangeur à obéir à son Maître sans le rendre assez lourd pour accomplir ses obligations.»

Al-Qourtoubi dit dans al-Moufhim où il évoque le récit d’Aboul Haytham qui avait égorgé un mouton afin d’offrir l’hospitalité au Prophète (bénédiction et salut soient sur lui) et à ses deux compagnons qui en ont mangé à satiété. On y trouve la permission de manger à satiété. Si celle-ci est interdite dans d’autres hadiths, on doit l’interpréter comme étant la satiété qui surcharge l’estomac au point d’empêcher le concerné d’accomplir ses actes cultuels, et le plonge dans une joie immodérée, dans la paresse ou la somnolence. Sa réprobation peut évoluer à l’interdiction vus les méfaits qui en découlent. » Extrait de Fateh al-Baari.

Quatrièmement, ce que vous avez dit  à propos de votre petit déjeuner, votre déjeuner et votre diner n’a rien à voir avec le gaspillage.

Allah le sait mieux.

Source: Islam Q&A