Louange à Allah.
Les biens illicites revêtent des formes multiples et comportent de nombreux cas. Un bien peut être illicite intrinsèquement ou à cause de son mode d’acquisition. Ce dernier peut être perçu avec le consentement de son propriétaire ou sans son approbation. Son acquéreur peut être au courant de l’interdiction de sa possession comme il peut être ignorant ou se base sur une interprétation. Chacun des cas est régit par une disposition appropriée.
Premièrement :
Celui qui acquiert un bien intrinsèquement interdit ou un bien dont la loi religieuse interdit la vente, l’acquisition et l’usage, par quelque moyen que ce soit, n’a pas à restituer ce bien à son propriétaire [d’origine] et ne doit pas le garder non plus, mais il doit le détruire. Il ne lui est pas permis d’en tirer profit en le vendant ou en l’achetant ou en l’offrant ou en l’acquérant ou en en faisant un autre usage.
Par "bien intrinsèquement illicite" on entend désigner tout objet interdit par son essence comme le vin, les idoles, le porc et consorts.
Deuxièmement :
Celui qui s’empare injustement du bien d’autrui, sans son consentement ni son autorisation, par le recours au vol, à l’usurpation, au détournement des deniers publics, à la tricherie, à la ruse, à la pratique de l’usure dans le cadre d’opérations où le débiteur est obligé et contraint de s’y impliquer, à la corruption qui oblige quelqu’un à donner une contrepartie pour obtenir un droit, etc., tout bien ainsi obtenu doit être restitué à son propriétaire. Sans cette restitution, il ne peut pas s’acquitter de la responsabilité qui lui incombe.
Si celui qui s’empare d’un bien par l’un des moyens sus indiqués l’utilise ou le dépense, cet argent devient une dette à sa charge jusqu’à ce qu’il le restitue à son propriétaire.
L’imam Ibn Al-Qayyim (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Si ce qui est perçu l’a été sans le consentement de son propriétaire et si ce dernier n’a pas reçu de contrepartie, on doit lui restituer son bien. Si la restitution s’avère impossible, on doit l’utiliser pour payer une dette due à son propriétaire [initial] (s’il y a dette). S’il est impossible de le lui restituer personnellement, on le remettra à ses héritiers. Si cela s’avère impossible aussi, on fait du bien en question une aumône au profit de son propriétaire.
Si ce dernier préfère être récompensé de son bien au Jour de la Résurrection, cela lui revient. S’il tient à ce qu’on lui attribue une partie des bonnes actions de l’usurpateur de son bien, il en prendra l’équivalent de son bien. Dans ce cas, la récompense de l’aumône reviendrait à son auteur et non pas au propriétaire du bien, selon ce qui a été rapporté de manière confirmée par les Compagnons (Qu'Allah soit satisfait d’eux). » Extrait de Zad Al-Ma’ad (5/690).
Troisièmement :
Si on obtient un bien illicite grâce à une pratique illicite tout en ignorant l’interdiction ou en la croyant autorisée selon la Fatwa de l’un des ulémas auquel on fait confiance, aucune obligation ne lui est imposée, à condition toutefois de cesser la pratique dès qu’on apprend qu’elle est interdite. Ceci s’atteste dans la parole d’Allah le Très-Haut : « ...Celui donc qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant ; et son cas dépend d'Allah [qui le jugera]... » (Coran :2/275).
Cheikh Al-Islam Ibn Taïmiyya (Qu’Allah lui accorde Sa miséricorde) a dit : « Ce qui n’est l’objet d’aucun doute pour nous est que ce qu’on a déjà acquis sur la base d’une interprétation ou par ignorance peut être indubitablement gardé d’après les indications tirées du Coran, de la Sunna et de la réflexion. » Extrait de Tafsir Ayat Achkalat ‘Ala Kathir Min Al-’Oulama (2/592).
Il poursuit : « Les fonds acquis grâce à des transactions controversées [au sein de la Oumma] et sur la base d’une interprétation lui faisant croire à leur licéité grâce à un effort de compréhension (d’un érudit) ou en suivant un avis (d’une école) ou en imitant l’opinion d’un des ulémas ou parce qu’un savant (‘Alem) lui aurait donné une fatwa en ce sens, ou sur la base d’autres considérations pareilles… tous ces fonds acquis de la sorte et détenus ne doivent pas être restitués par leurs détenteurs, même si, après coup, ils se rendaient compte qu’ils s’étaient trompés et que celui qui leur avait donné une fatwa favorable avait commis une erreur.
Lorsque le musulman agit sur la base d’une interprétation l’autorisant à effectuer des ventes, des opérations de location ou des transactions générant des gains à propos desquelles des ulémas ont donné des fatwas favorables et de là il a perçu des biens même si, plus tard, il apprend clairement que l’avis juste va dans le sens de l’interdiction de leur détention, malgré cela tout ce qu’il a encaissé ne lui est pas interdit. » Extrait de Madjmou’ Al-Fatwas (29/443).
L’imam Ibn Taïmiyya a dit encore : « Celui qui commet un acte sans savoir qu’il est interdit, et plus tard il apprend que c’est interdit, il ne sera pas puni. Si quelqu’un effectue des transactions usurières qu’il croyait autorisées et en tire des gains, puis il reçoit une exhortation de son Seigneur et cesse lesdites transactions, peut conserver les gains déjà réalisés. » Extrait de Tafsir Ayat Achkalat ‘Ala Kathir Min Al-’Oulama (2/578).
On lit dans les Fatwas de la Commission Permanente : « S’agissant de la durée de votre travail au sein de la banque, nous espérons qu’Allah, le Très-Haut, vous en pardonne le péché. Pour l’argent que vous avez acquis grâce à votre travail au sein de la banque durant la période passée, aucun péché n’en découle pour vous, si tant est que vous ignoriez la disposition religieuse qui concerne le travail dans une banque usurière. » Extrait des Fatwas de la Commission Permanente (15/46).
Cheikh Ibn Outheïmine (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « S’il ne savait pas que cela est interdit, il garde tout ce qu’il a obtenu auparavant sans rien encourir. Il en est de même s’il se fiait à la fatwa d’un des ulémas selon laquelle ce qu’il faisait n’était pas interdit, il ne restitue rien du tout. A ce propos, Allah, le Très-Haut, dit : « ... Celui donc qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant ; et son cas dépend d'Allah [qui le jugera] ... » Extrait d’Al-Liqaa Ach-Chahri (19/67 )selon la numérotation automatique de la Chamila.
Quatrièmement :
Celui qui a acquis des biens illicites en étant conscient de leur illicéité et les a encaissés avec le consentement et l’agrément de leur propriétaire : il n’est pas tenu de les restituer à leurs propriétaire initial selon le plus prépondérant des deux avis émis par les ulémas sur la question. Nous citons comme exemples pour cette situation : le cas des fonds perçus sur la base d’un contrat invalide, les salaires issus de la pratique d’une fonction prohibée, les gains du trafic de produits illicites, la rémunération de services interdits comme le faux témoignage, l’enregistrement d’opérations usurières, le revenu de la corruption payé par quelqu’un qui veut obtenir un droit qu’il ne mérite pas, ou encore les gains obtenus grâce au pari, au jeu de hasard, à la divination et consort, etc.
L’imam Ibn Al-Qayyim (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Si ce qui est encaissé l’est avec le consentement du payeur qui aurait perçu une contrepartie illicite, comme par exemple celui qui paie pour obtenir du vin ou du porc ou pour la fornication ou toute autre dépravation, celui-là ne doit pas être compensé parce que le payeur a agi délibérément et a reçu une contrepartie illicite. Aussi ne lui est-il pas permis de cumuler la compensation et le compensé car ce serait une manière d’aider à commettre le péché et l’agression et à faciliter la tâche aux auteurs des actes de désobéissance.
Que voudrait le fornicateur de plus quand il sait d’avance qu’il va satisfaire son désir sexuel et récupérer ce qu’il a payé ? La Charia est au-dessus de permettre une telle possibilité et il ne sied même pas de la lui prêter. » Extrait de Zad Al-Ma’ad (5/69).
Pour la majorité des ulémas, on doit se débarrasser de ces gains illicites en en faisant une aumône au profit des pauvres et nécessiteux ou en les dépensant pour des œuvres d’intérêt public, etc. Si le détenteur de gains illicites en fait un usage quelconque, ils deviennent une dette à sa charge qu’il devra régler quand il le pourra en faisant de leur équivalent une aumône.
Cheikh Al-Islam Ibn Taïmiyya (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Celui qui perçoit une contrepartie d’un objet illicite ou en échange d’un avantage acquis, à l’instar du salaire payé au porteur de vin, au fabriquant de croix, à la prostituée et consort, doit en faire une aumône et se repentir d’avoir accompli un acte illicite. Le fait de faire de la contrepartie reçue une aumône expie l’acte qu’on a commis. En effet, il n’est pas permis de se servir de la contrepartie en question car elle est mauvaise et ne doit être restituée à celui qui l’avait donné parce qu’il a déjà consommé le service correspondant. On doit en faire une aumône comme l’a précisé certains oulémas tel l’imam Ahmed évoquant le cas du porteur de vin et les adeptes de l’imam Malek et d’autres. » Extrait de Madjmou’ Al-Fatwas (22/142).
On lit dans le livre intitulé Al-Ikhtiyar li Ta’lil Al-Mokhtar (3/61) : « Les biens mauvais doivent être donnés en aumône. »
On lit dans les Fatwas de la Commission Permanente (14/32) : « Si au moment de réaliser un gain on le sait illicite, le fait de se repentir après coup ne le rend pas licite car il faut s’en débarrasser en le dépensant dans un domaine de bienfaisance. »
Cheikh Ibn Outheïmine (Puisse Allah lui accorder sa miséricorde) a dit : « Mais s’il est au courant (de l’interdiction), il doit se débarrasser de l’usure en en faisant une aumône ou en l’utilisant dans la construction d’une mosquée ou dans la réparation d’une route ou consort. » Extrait d’Al-Liqaa Ach-Chahri (19/67) selon la numérotation automatique de la Chamila.
L’imam Ibn Al-Qayyim (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a choisi l’avis selon lequel : si le concerné est pauvre, il peut prélever du gain illicite de quoi satisfaire ses besoins (essentiels). A ce propos, il a dit : « Le moyen de s’en débarrasser est de se repentir parfaitement et d’en faire une aumône. Mais s’il est dans le besoin, il lui est permis de prélever du gain illicite de quoi satisfaire ses besoins avant de faire du reste une aumône. Voilà le verdict concernant tout mauvais gain dont le mauvais caractère découle de la mauvaiseté de sa contrepartie, qu’il s’agisse d’un objet ou d’un avantage. » Extrait de Zad Al-Ma’ad (5/691).
Selon un autre avis de Cheikh Al-Islam Ibn Taïmiyya (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) le détenteur de gains illicites, peut s’en servir et n’est pas tenu d’en faire une aumône, une fois repenti. A ce propos, il a dit : « Quant au cas où la personne est au courant de l’interdiction, on a besoin d’y méditer.
En effet, on peut se dire que s’il doit en être ainsi, toute personne qui obtient un revenu grâce à la vente du vin tout en la sachant interdite, peut garder les gains antérieurs. Il en est de même pour toute personne qui gagne un bien illicite auprès d’un partenaire agissant avec consentement. Ce qui s’applique à la passe de la prostituée et aux honoraires du devin.
Ceci n’est pas différencié des fondements de la Charia. Celle-ci établit une distinction entre le repenti et le non repenti, comme cela se dégage de la parole d’Allah le Très-Haut : «...Celui donc qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant... » (Coran : 2/275) et la parole d’Allah le Très-Haut : « Dis a ceux qui ne croient pas que, s'ils cessent, on leur pardonnera ce qui s'est passe…» (Coran : 8/38). Cet avis est d’autant plus solide que ce genre de gain illicite ne doit pas être détruit de l’avis de tous. Bien au contraire, ou bien on en fait une aumône, ou bien on le restitue au fornicateur ou au buveur du vin qui l’avaient payé, même s’ils persistent dans leurs comportements, ou bien enfin on laisse le bien à son détenteur repenti. Restituer la passe au fornicateur ou le prix du vin au buveur est un avis qui ne peut pas émaner d’une personne qui réfléchit bien avant de parler (le Moufti), même si certains Fouqahas soutiennent cet avis, car il en découle en pratique un cumul de maux. En faire une aumône serait mieux indiqué.
Concernant le fait d’en faire une aumône, cela est bien meilleur.
Toutefois, on peut se dire : le repenti mérite mieux qu’un autre de garder le bien mal acquis. Il est indubitable que si le repenti est pauvre, il mérite mieux que les autres pauvres de conserver ce gain illicite. C’est cette Fatwa que j’ai donné à plusieurs reprises. Quand le repenti est pauvre, il prélève des gains mal acquis de quoi satisfaire ses besoins car il mérite mieux que tout autre de bénéficier des gains en question. C’est une manière de le réconforter dans son repentir. Si on l’obligeait de s’en débarrasser, il subirait un grand préjudice et ne se repentirait pas. Quiconque réfléchit bien sur les fondements de la Charia se rend compte qu’il est d’usage de faire preuve d’une grande tendresse à l’égard des repentis pour les raffermir.
Il s’y ajoute qu’il n’y a aucun inconvénient à conserver le gain mal acquis car ce qui est perçu n’est plus la propriété du donneur et il n’est pas intrinsèquement interdit. Il n’a été jugé illicite qu’à cause de son usage dans un acte interdit et qui a été pardonné suite au repentir. Dès lors, la pauvreté du détenteur justifie indiscutablement son usage du gain mal acquis. L’usage du même gain par un repenti aisé est défendable car c’est une manière d’encourager les détenteurs de gains mal acquis à se repentir. A ce propos, Allah le Transcendant dit : « ...Celui donc qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son Seigneur, peut conserver ce qu'il a acquis auparavant ; et son cas dépend d'Allah [qui le jugera] ... » (Coran :2/275). Allah n’a pas dit "celui qui est musulman" ni "celui qui a su que c’est interdit", mais Il a plutôt dit : « ...Celui donc qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son Seigneur… » et l’exhortation est plus applicable dans le cas d’une personne qui connaît déjà l’interdiction que dans le cas d’une personne qui n’en a pas connaissance. Allah, le Très-Haut, dit : « Allah vous exhorte à ne plus jamais revenir à une chose pareille si vous êtes croyants. » (Coran : 24/17) » Extrait de Tafsir Ayat Achkalat ‘Ala Kathir Min Al-’Oulama (2/593-596).
On lit dans Moussannaf Ibn Abi Chaïba (7/285) ceci : « Abdallah ibn Noumeïr nous a raconté qu’Ar-Rabi’ ibn Saad a dit : « Un homme interrogea Abou Dja’far à propos d’un autre homme, il lui a dit : un de mes amis a réalisé un gain illicite qui s’est ensuite répandu partout chez lui au point de se mélanger avec tous ses biens et ceux de sa famille. Ensuite, il s’est rendu compte du caractère illicite du gain. Mais il est venu faire le pèlerinage et a résidé dans le voisinage de la Ka’ba. Que penses-tu à son propos ? Il lui a dit : Je pense qu’il doit craindre Allah et de ne plus récidiver. »
Cheikh Abderrahmane As-Sa’di (Puisse Allah lui accorder Sa miséricorde) a dit : « Allah le Très-Haut n’a pas donné l’ordre de restituer le revenu perçu grâce à un contrat d’usure après le repentir. Il a ordonné de restituer l’usure qu’on n’a pas perçu. Ce qui est déjà perçu avec le consentement du donneur ne peut pas être assimilé à un bien usurpé.
Agir de la sorte revient à faire désirer le repentir et à le faciliter contrairement à l’avis qui fait dépendre la validité du repentir par la restitution des gains mal acquis quelle qu’en soit leur quantité et en dépit de la difficulté de le faire. » Extrait de Al-Fatwas As-Sa’diya (p.303).
Le résumé de ce qui a précédé :
- En ce qui concerne les choses interdites que la Charia considère comme intrinsèquement illicites et dont les revenus sont illicites, il est absolument interdit d’en tirer un quelconque bénéfice ; au contraire, elles doivent être détruites.
- Les biens d’autrui accaparés injustement, sans autorisation, ni consentement de leur propriétaire, doivent lui être restitués ou à ses héritiers s’il est mort, et sa responsabilité ne peut être quitte autrement. S’il n’est pas possible de le faire, alors on peut les donner en aumône à son compte.
- Concernant la personne qui a acquis un bien illicite alors qu’il ignorait l’interdiction de cette transaction, ou il suivait un érudit qui lui a donné une fatwa à cet effet, il n’a pas besoin de se débarrasser de ce bien après avoir appris l’interdiction et s’est repenti ; il peut plutôt en faire usage.
- Quant à celui qui a acquis un bien interdit bien qu’il sait que c’est interdit, sachant qu’il l’a perçu avec la permission et le consentement du propriétaire, puis il s’est repenti de cela, il n’a pas à le lui rendre. Cependant, les ulémas ont émis des avis divergents quant à savoir s’il est obligé de le donner en aumône ou s’il peut le garder et en faire usage, comme c’est l’avis choisi par Cheikh Al-Islam Ibn Taïmiyya.
Voici ce que nous préconisons :
- Si celui qui s’est repenti est riche, et qu’il peut se défaire volontiers de ce bien, qu’il le donne en aumône aux pauvres, comme c’est l’avis de la majorité des ulémas, et c’est plus admissible pour s’acquitter de sa responsabilité et c’est l’approche la plus précautionneuse pour sa religion.
- Si son âme le tiraille et qu’il n’arrive pas à se défaire de ces gains ou que cela peut l’empêcher de se repentir et constituer un obstacle à ce qu’il le fasse, ou s’il est pauvre et a besoin de cet argent, alors il peut en faire usage, comme c’est le choix le de Cheikh Al-Islam Ibn Taïmiyya.
Et Allah, le Très-Haut, le sait mieux.